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Saint ODILON

 Texte tiré de: couv_mysteres_v

 

C'est ce que rapporte Pierre le Vénérable. Avec Mayeul, on associe Odilon, le successeur comme abbé de Cluny. Il était le fils de Béraud de Mercœur, issu de l'antique race des comtes d'Auvergne. Il n'eut pas une enfance heureuse, car il souffrait de diverses maladies et, surtout, ne pouvait ni marcher ni se mouvoir.

Un jour, il fut confié à des serfs sous la garde de sa nourrice. En cours de route, ceux qui le portaient le déposèrent avec leurs bagages sur le seuil d'une église dédiée à la Vierge Marie. Ils devaient prendre de la nourriture dans une maison et ils avaient besoin de toute leur activité.

L'enfant, seul, tenta de gagner la porte de l'église et d'y entrer. Rampant sur le ventre, s'aidant des pieds et des mains, il parvint à entrer dans l'église et s'efforça de s'approcher de l'autel. Pour cela, il saisit la blanche nappe placée sur l'autel et, prenant appui, il tenta de se redresser, les bras tendus. La raideur de ses jambes était un handicap.

Soudain, il se leva, se redressa, se tint fermement sur ses pieds. Il se mit à courir tout autour de l'autel. On peut imaginer la surprise des domestiques quand ils revinrent et ne trouvèrent pas l'enfant près des bagages. Ils entreprirent des recherches et, entrant dans l'église comme par hasard, ils virent l'enfant courant de tous les côtés.

Ils reconnurent la toute-puissance de Dieu. Ils ramenèrent l'enfant sain et sauf à des parents qui, eux aussi, ne cachèrent pas leur joie. Ils étaient stupéfaits et ravis.

Quelques années passèrent, puis Odilon, ne pouvant porter la lourde épée paternelle, demanda à entrer au monastère de Saint-Julien de Brioude. L'enfant faisait montre d'une grande piété et d'une grande ferveur chrétienne.

Voilà que le vénérable Mayeul rendit visite au monastère. Il fut frappé par la piété et la vive intelligence du jeune Odilon au point qu'il l'emmena avec lui. À dater de ce jour, les deux êtres ne se quittèrent plus. Ils avaient à exercer la même fonction, mourir dans la même cellule, être ensevelis dans le même tombeau.

Ce qui fit que les vignerons de Souvigny - où sont-ils aujourd'hui? -, ne voulant pas les séparer, en firent leurs patrons.

On dit que la charité d'Odilon était inépuisable, s'exerçant aussi bien à l'égard des vivants que des morts. Une grande famine frappa le Bourbonnais peu avant l'an 1000. Odilon se rendait au monastère de Saint-Denis en France et dut traverser cette province.

Sur son chemin, il découvrit deux cadavres d'enfants morts de faim et de froid, sans vêtements. Il s'arrêta, descendit de son cheval, releva les deux corps raidis par le froid. Puis il enleva de ses épaules le manteau de blanche étamine qu'il portait, s'en servit pour les envelopper. Il s'arrangea pour leur donner une sépulture chrétienne. Alors, il put continuer son voyage.

Autre aventure. On approchait de la Toussaint, et Odilon, accompagné d'un vieux serviteur, passait près d'un cimetière. Le temps était épouvantable et le vent soufflait en rafales dans les grands bois autour de Souvigny. Ces rafales dans les branches produisaient un bruit sinistre, et l'on avait l'impression qu'il était coupé de cris sauvages, de plaintes et de gémissements.

Odilon s'aperçut que son compagnon était mort de peur et n'avançait qu'avec peine. Il lui demanda ce qui le préoccupait. Voici sa réponse:

" Hélas! mon père, ne savez-vous pas que les cris que nous entendons sont ceux des âmes en peine qui demandent des prières. La nuit de la Toussaint, les âmes de ceux qui sont morts sans confession, et surtout de ceux qui n'ayant pas été ensevelis dans la terre bénie, ne peuvent entrer au paradis, viennent demander des prières et rôdent autour des cimetières dans l'espoir de pouvoir y pénétrer et obtenir ainsi un adoucissement à leurs souffrances.

Mon ami, répondit Odilon, je crois que les bruits que tu entends sont simplement ceux du vent qui souffle dans les arbres, mais il est certain qu'il y a bien des âmes en peine qui ont besoin de prières, et qu'en ce jour il serait bon de demander à tous les saints d'intercéder en leur faveur auprès du Dieu tout puissant. "

Après une nuit de réflexion, Odilon fit édicter une règle ordonnant aux moines de l'obédience de Cluny, et donc à ceux de Souvigny aussi, de célébrer l'anniversaire des morts, le lendemain de la Toussaint, puis d'aller dans les cimetières prier devant les tombes pour le repos de l'âme des défunts.

Voilà pourquoi le Bourbonnais et Cluny furent les premiers à célébrer la fête des morts. Puis, sur la demande d'Odilon, le pape Gerbert étendit cette coutume à toute la chrétienté.

Les légendes sur Odilon sont nombreuses. Un été, alors qu'il régnait une très forte chaleur, Odilon voulut gagner une chapelle non loin de Souvigny. Il était accompagné d'un nouveau moine nommé Radulph Glabert. Il faisait excessivement chaud, ce qui rendait la marche pénible pour nos deux hommes.

Certainement plus pour Odilon bien qu'il s'appuyât sur une béquille, souvenir de la paralysie qui l'avait atteint dans son enfance. Ses jambes, malgré les soins, étaient restées raides et débiles.

Tandis qu'ils marchaient, Odilon se rappela qu'il était parti de Souvigny, sans donner quelques directives urgentes. Il demanda à son compagnon de retourner au monastère. Pendant ce temps-là, il prendrait un peu de repos. Il s'étendit sur le sol et s'y endormit tout en étant en plein soleil.

 Radulph Glabert avait une mauvaise réputation. Il était inquiet, jaloux. Il avait un caractère difficile et indocile. Résultat de tout cela, il avait été chassé d'un grand nombre de monastères.

 Par charité, Odilon l'avait recueilli à Cluny, espérant le ramener à plus de civilité.

On peut bien penser qu'il n'apprécia pas la situation, car il estimait avoir autant besoin de repos qu'Odilon et qu'il n'était pas là pour réparer ses oublis. En outre, il faisait une telle chaleur que le trajet serait épuisant.

Au moment de partir, il jeta un regard au dormeur, se moqua de lui, en lui-même, d'être installé en plein soleil au lieu d'avoir cherché l'ombre. Il planta sa béquille, de colère, dans le sol, au plus près du dormeur et il ajouta, pour lui-même, et par dérision: " L'ombre que donnera ta béquille, sera bien suffisante pour abriter un vieil égoïste comme toi. " Puis il partit.

À son retour, il n'en crut pas ses yeux. La béquille n'existait plus. Elle était devenue un grand arbre avec de beaux rameaux et abritait Odilon des rayons du soleil.

Au réveil de ce dernier, il se jeta à ses genoux et lui confessa sa faute. Odilon lui pardonna, et tous les deux, à genoux, remercièrent Dieu tout-puissant. Du coup, Radulph devint un serviteur zélé et fidèle protégé par Odilon, qui le dirigea vers des études historiques. Plus tard, il écrivit un livre d'histoire qu'il dédia " au plus illustre des hommes, à Odilon, père de l'abbaye de Cluny".

Voici une autre légende, celle-ci comme les autres, s'est construite autour de vérité.

Le roi Hugues Capet appela un jour Odilon auprès de lui. Une longue maladie avait frappé le roi, qui éprouvait une langueur dévorante, un ennui fiévreux qu'il supportait mal. Odilon réconforta le souverain et lui recommanda d'aller prier devant le tombeau de saint Mayeul. À ce moment-là, Odilon s'occupait de la réforme de l'abbaye de Saint-Denis.

Voilà pourquoi le roi prit le chemin de Souvigny accompagné par Odilon, Burchard, le comte de Corbeil et de Raynald, évêque de Paris.

Le roi fut reçu par Raymond, doyen de Souvigny nommé par Mayeul. La scène se passa sous le porche de l'église. Il lui présenta l'eau bénite, Le Livre des Évangiles à baiser, puis l'encensa. De chaque côté du chemin du roi, une file de moines inclinés. Il s'en alla déposer son offrande sur les marches de l'autel de Saint-Pierre, puis s'en revint devant le tombeau de saint Mayeul, pour une première oraison.

Le roi, qui était très pieux, avait refusé de couvrir ses épaules du manteau bleu des rois francs. Il portait, tout simplement, la chape d'abbé de Saint-Martin-de-Tours. Pendant son séjour au monastère de Souvigny, Hugues Capet fut revêtu du froc brun.

Il fut présent comme un simple frère, depuis le chœur, à tous les exercices diurnes ou nocturnes, et il se soumit à toutes les règles et austérités de la règle bénédictine. Malgré tous ses efforts, ses prières, le roi n'obtint qu'un soulagement de ses douleurs.

Aussi en fit-il l'observation à Odilon. Ce dernier, qui n'en perdit pas le nord, fit remarquer doucement au roi qu'il acquérait grand droit à la reconnaissance et à la gratitude de Mayeul si, répondant au désir de ce saint homme, il accordait au monastère de Souvigny, le droit de battre monnaie sur toute la terre du comte Archambaud.

On comprend que le roi hésita à satisfaire, aujourd'hui plus qu'hier, ce souhait, sinon ce désir. Hugues Capet fit observer qu'il s'agissait d'un privilège royal et d'une grande largesse. Réponse d'Odilon, benoîtement: "Je ne demande rien. Je ne fais qu'exprimer le désir du bienheureux Mayeul. "

C'est du jésuitisme à l'état pur.

Malgré tout le roi quelque peu incrédule émettait des doutes sur la véracité du désir exprimé par saint Mayeul. Du coup, Odilon, qui voyait s'éloigner la réalisation souhaitée, abattit toutes ses cartes.

Il dit au roi: " Je vais supplier Dieu et notre père Mayeul de faire un miracle pour te prouver que je dis vrai. Tu vois la branche de cerisier que je viens de cueillir pour m'en faire un bâton, nous allons la porter dans l'église devant le tombeau de Mayeul. Si elle pousse et fleurit pour la fête de Noël, tu croiras à mes paroles. "

Accord conclu.

Nous étions en novembre. La branche ressemblait à un bois mort. Odilon la porta dans l'église. Il mit un petit tas de sable mélangé dechaux qu'il arrosa d'eau tiède devant le tombeau de saint Mayeul. Dedans, il planta la branche. Avant de se retirer, il pria longuement. Il en fut ainsi tous les jours, matin et soir. Il arrosait la branche non avec de l'eau ordinaire mais avec de l'eau bénite.

 Arriva le jour de Noël. Hugues Capet était présent. Il entra dans l'église accompagné d'Odilon, de l'évêque Raynald, du doyen et des moines de Souvigny, du comte Barchard, d'Archambaud de Bourbon. Arrivés devant le tombeau de saint Mayeul, ils constatèrent que la branche de cerisier était couverte de bourgeons et de feuilles comme si l'on était au printemps.

 Tous tombèrent à genoux. Devant cette situation et compte tenu de l'accord, Hugues admit ce miracle de la volonté divine. Il promit d'accorder aux moines de Saint-Mayeul tout ce que demandait celui-ci.

 Puis ils entendirent la sainte messe. Celle-ci étant terminée, ils s'apprêtèrent à sortir, mais ils s'arrêtèrent, car la foule encombrait les arcades. D'elles s'élevaient des clameurs joyeuses et il y avait de grands mouvements de foule. Au milieu de celle-ci, un jeune serf aux cheveux coupés ras, portant des vêtements en lambeaux. À la taille, il avait une ceinture de mir. Ses pieds étaient nus.

 Il avait jeté, au loin, son bâton d'aveugle. Il avait dénoué la corde qui retenait un chien enchaîné à son bras. La figure rayonnante, il allait de l'un à l'autre, montrant ses yeux ouverts. La foule criait: "Miracle! Miracle! Gloire à Mayeul ! "

 Le roi s'avança. La foule respectueusement se retira, lui laissant un chemin. Il s'approcha du jeune homme, hier un aveugle, et lui demanda de faire le point sur sa guérison. Hugues voulut s'assurer de cette guérison, et il releva les paupières. Le serf s'était agenouillé. Le roi regarda de près la prunelle transparente, nette et intacte.

On savait que le roi était très sensible à la situation des humbles, et personne ne fut surpris de le voir pleurer. Il rendit grâce à Mayeul, un juste, qui avait guéri ce pauvre aveugle lequel, dès le début, avait cru dans le saint.

Avant de quitter définitivement les lieux, Hugues concéda au monastère de Souvigny le droit de battre monnaie par une charte solennellement déposée sur le sépulcre de saint Mayeul et qui, ratifiée par son fils Robert le Pieux, fut respectée par tous ses successeurs.

Odilon mourut dans sa quatre-vingt-septième année, le jour de la circoncision, un dimanche, l'an de l'incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, en 1049. Cela se passa à Souvigny, où Odilon séjournait.

Aussi fut-il installé dans la même cellule que saint Mayeul. Il eut une mort tumultueuse. Tout au long des heures de son agonie, il lutta contre le démon, car il prétendait voir flamboyer, dans un coin obscur, les prunelles ardentes du grand tentateur voulant le chasser, il prit la croix et demanda qu'on lut à haute voix le symbole de sa croyance chrétienne.

Dans la nuit de sa mort, il apparut à un moine appelé Grégorius. Un homme simple et de mœurs innocentes.

Odilon fut placé dans la crypte, aux côtés de saint Mayeul. Plus tard, leurs restes furent transférés dans le tombeau installé à l'entrée de la grande nef par Roger, archevêque de Bourges, le 21 juin 1304. Plus tard encore, le prieur Chollet fit réaliser une châsse et un oratoire avec deux panneaux sur lesquels étaient peints les portraits des deux saints. Il renferma les chefs de ces derniers plus les reliques de saint Principin et de saint Léger, la robe de saint Mayeul, les sandales de ce dernier et de saint Odilon.

Il y avait aussi, précieusement conservée, la robe de saint Mayeul. C'était une simple étoffe tirant sur la couleur du tanné. Elle est longtemps restée comme neuve ainsi que les récits nous l'affirment après sept cents ans. Cette robe avait une particularité. Les femmes stériles venaient en pèlerinage à Souvigny. Non seulement, elles touchaient cette robe, mais elles la revêtaient. On assure que bien souvent leur vœu d'être mère était exaucé.

En fait, tout ce qui touchait ou fut touché par saint Mayeul produisait des miracles. Ainsi l'eau qu'on trouvait dans le tombeau des deux saints.

Cette eau provenait de la terre par infiltration. On la retrouvait sur le tombeau qui se composait d'une grande pierre tumulaire un peu creusée à sa surface. Parfois l'eau couvrait la pierre.

On attribuait à cette eau de nombreuses vertus. Ainsi, les fébricitants et les malades qui en buvaient se trouvaient soulagés ou même guéris. De même le bétail menacé par la peste était-il abreuvé de cette eau. Autre miracle. Les deux saints étaient les patrons des vignerons. En ce temps-là, il y avait de nombreuses exploitations de vigne et, lorsqu'un orage menaçait, les vignerons et leurs familles se précipitaient à l'église, y priant jour et nuit. Si l'orage était trop menaçant, les religieux portaient les chefs des deux saints sous la halle de la ville. Ils y priaient avec le peuple assemblé. De même, en année de grande sécheresse, on promenait solennellement les reliques jusqu'à l'abbaye de Saint-Menoux, distante de six kilomètres. Dans cette dernière, une messe était célébrée. On assure que très souvent, avant que la procession ne soit revenue à Souvigny, grâce aux prières et aux deux saints, il avait plu.